Entretien avec Samir Karoum, Chief Strategy & Sustainability Officer et membre du Comité Exécutif du Groupe. Samir Karoum a rejoint Technip Energies en mai 2022. Avant de rejoindre l'entreprise, il a occupé différents postes de direction commerciale et générale, au niveau local, régional et mondial, successivement pour Areva, Alstom et Schneider Electric..
Q. Technip Energies (T.EN) a récemment publié son deuxième rapport de développement durable et un tableau de bord ESG revisé. Pouvez-vous expliquer les nouvelles orientations de la stratégie ESG de T.EN ?
Samir Karoum (SK) : Nous devons considérer l'ESG et le développement durable comme un parcours. Il ne s'agit pas uniquement de rendre compte de nos activités dans le bon format. C’est aussi une façon de penser et de travailler qui détermine notre activité, la manière dont nous conduisons les affaires et développons de nouvelles offres, avec une définition plus large de la valeur pour notre planète et les personnes. C'est un processus en constante évolution.
Lorsque Technip Energies a été créée en 2021, la première année a été consacrée à la définition de notre feuille de route ESG, en impliquant nos collaborateurs. Il s'agissait d'un processus fondamental et collaboratif puisqu’il était basé sur une consultation de tous nos employés et un engagement des parties prenantes, afin de poser les bases de notre stratégie en accord avec notre Raison d’être. Il reflète la manière dont nous travaillons en tant qu'entreprise : la collaboration et la coordination sont au cœur de la réussite des projets.
Après avoir défini notre feuille de route, nous avons commencé en 2022 à comparer nos objectifs et nos performances, et avons échangé avec les agences de notation ESG, en recherchant des évaluations supplémentaires. Les commentaires que nous avons reçus de ces agences confirment que nous allons dans la bonne direction et nous avons d’ailleurs atteint tous nos objectifs.
Notre tableau de bord ESG révisé pour la période 2023 - 2025 traduit nos engagements en actions. Nous l’avons simplifié et structuré pour être le meilleur de sa catégorie. Nos indicateurs clés de performance sont très ambitieux, axés sur l'impact et les résultats. Pour la première fois, nous avons évalué nos émissions amont du Scope 3 et avons fait une première estimation brute de nos émissions aval. En 2023, nous affinerons cette estimation et publierons des objectifs clairs pour décarboner notre cœur de métier ainsi que les activités de nos clients, tout en poursuivant notre transition vers de nouvelles activités durables.
Q. Le carnet de commandes de T.EN repose principalement sur le GNL et autres activités traditionnelles (éthylène, raffinage…). Comment envisagez-vous l’évolution et comment T.EN peut-elle accélérer la croissance dans les énergies renouvelables ?
SK : Les activités traditionnelles au sein de notre carnet de commandes se composent principalement de GNL d'une part, et de carburants et produits chimiques durables d'autre part. Nous constatons déjà des transformations dans ces deux segments. Le gaz naturel est le combustible fossile qui émet le moins de CO2. La transition est déjà en cours, et nous apportons une décarbonation supplémentaire à l'industrie du GNL. Par exemple, notre projet de GNL au Qatar comporte une grande installation de captage du carbone pour réduire ses émissions de CO2. Un autre exemple est notre offre SnapLNGTM. Il s'agit d'une solution modulaire innovante pour le GNL, conçue pour surmonter deux contraintes : la sécurité énergétique et le temps de construction. SnapLNGTM nous permet de construire plus rapidement et offre des options d'électrification pour décarboner davantage les unités de GNL.
Il en va de même pour les carburants et les produits chimiques, où notre rôle est de les rendre plus durables. Dans ce domaine, nous nous associons à des entreprises innovantes pour décarboner les usines traditionnelles en ajoutant le captage du carbone, en utilisant des énergies renouvelables, en envisageant des options d'électrification et en ayant des fours plus efficaces sur le plan énergétique. Certains de nos clients envisagent également d'utiliser l'hydrogène comme combustible dans les fours. Nous collaborons avec Lanzajet pour appliquer notre technologie Hummingbird® à la production de carburant d'aviation durable (SAF), hautement décarboné. Dans le domaine des plastiques, nos technologies favorisent la circularité du plastique, pour le réutiliser comme matière première.
En parallèle, notre activité dans la transition énergétique est en pleine croissance. En 2022, nous avons vu une multiplication par cinq puisque les prises de commandes ont avoisiné le milliard d'euros (hors GNL), contre 200 millions d'euros en 2021. Notre carnet de commandes comprend le projet de valorisation énergétique des déchets d’Hafslund Oslo Celsio en Norvège, qui permettra de capter jusqu'à 17 % des émissions de GES d'Oslo, ainsi que la plateforme de Neste pour la production d'énergies renouvelables à Rotterdam.
Q. Assistons-nous à un âge d'or pour les ingénieurs ?
K : Tout à fait. Si l'on veut avoir un impact favorable sur le changement climatique, il faudra déployer des efforts à la fois du côté de l'offre et de la demande de la chaîne de valeur de l'énergie. Certains secteurs seront plus difficiles à décarboner que d'autres - prenons l'exemple de l'aviation, où l'électrification ne fonctionnera pas à court terme.
Les secteurs les plus difficiles à décarboner auront besoin des meilleurs ingénieurs pour accélérer la mise à l’échelle industrielle des nouvelles technologies. En effet, de nombreuses technologies de décarbonation sont aujourd'hui émergentes ou encore à un stade précoce de développement, comme le captage du carbone, le captage direct de l'air, l'hydrogène vert, l'ammoniac vert, etc. Nous devons accélérer leur développement et leur mise à l'échelle industrielle afin d'améliorer l'efficacité et de réduire les coûts. Et le seul moyen de passer du laboratoire à la réalité est de faire appel à des sociétés d'ingénierie.
D’ailleurs, pour de nombreux nouveaux marchés, comme l'éolien offshore flottant ou l'hydrogène vert, nous constatons une forte demande en capacités d'ingénierie, nécessitant une intégration complexe d’actifs.
Technip Energies possède donc l'expérience, l'expertise et les ingénieurs pour accélérer la décarbonation ainsi que le développement et l’industrialisation de nouvelles technologies et l'intégration d'actifs. La transition énergétique et la décarbonation de l'industrie offrent à nos collaborateurs l'opportunité d'appliquer leurs compétences-métier uniques.
Q. Quelle est votre vision pour T.EN dans 10 ans ?
SK : Je pense que l'un des principaux défis pour l'humanité au XXIème siècle consiste à ramener les activités humaines dans les limites de la planète pour une vie meilleure pour tous. Il s'agit d'un défi mondial qui ne peut être résolu ni seul ni en vase clos. C'est pourquoi la Raison d’être de T.EN est de « Ensemble, repousser les limites pour façonner un avenir durable ». Au cours des dix prochaines années, T.EN va se concentrer sur trois axes.
Le premier consiste à décarboner la production d’énergie - prendre les électrons verts produits de manière intermittente par les énergies renouvelables et les rendre plus gérables. Grâce à nos compétences exceptionnelles en matière de transformation des molécules d'énergie et à nos capacités d'ingénierie, T.EN va jouer un rôle important pour relier l'industrie énergétique traditionnelle et les énergies renouvelables, à mesure que nous construisons un système énergétique durable.
Le deuxième axe est l'augmentation de la circularité, pour éviter de puiser dans les ressources de la planète. La demande en nouveaux produits existera toujours et l’une des façons de réduire notre impact sur la planète est donc de réutiliser les produits et de faciliter le recyclage en intégrant l'analyse du cycle de vie dès la phase de conception du produit. Nous disposons d'un vaste portefeuille de technologies et de services de conception pour aider nos clients à passer du modèle économique traditionnel « prendre-produire-jeter » à un modèle où la régénération est pensée dès la conception.
Et le troisième axe est le numérique. La transformation digitale va nous permettre d'exploiter des quantités impressionnantes de données pour améliorer notre mode de fonctionnement et réaliser des projets, et pour offrir de nouveaux services et solutions. Cette activité va continuer à croître et apporter de la valeur pour fournir des solutions et des services plus efficaces à nos clients.