Loïc Chapuis est Senior Vice President Gas & Low-Carbon Energies de Technip Energies. Depuis qu'il a rejoint l'entreprise en 2006, il a occupé différents postes dans le domaine commercial et des opérations pour des projets majeurs tels que Shell Prelude FLNG, Yamal LNG et Arctic LNG2. Plus récemment, Loïc était SVP de la Business Unit de Paris et Directeur Général de Technip France.
Pouvez-vous expliquer le rôle que l’activité Gas & Low-Carbon Energies tient dans la transition énergétique ?
La business line Gas & Low-Carbon Energies (Gaz & Energies bas carbone) regroupe nos activités gazières traditionnelles, le GNL et le GNL flottant (FLNG) ainsi que les technologies de décarbonation de la transformation du gaz, qui couvrent la production d'hydrogène et d'ammoniac bleus utilisant le captage et le stockage du carbone (CCUS). L'hydrogène vert, qui est produit par électrolyse alimentée par des énergies renouvelables, relève de l'activité Carbon-Free Solutions (Solutions sans carbone).
Le gaz naturel est un combustible important pour l'industrie et la production d'électricité, et la liquéfaction (GNL) permet de le transporter et de le commercialiser dans le monde entier. Le gaz naturel est le combustible fossile émettant le moins de CO2. Dans les centrales électriques récentes, le gaz remplace le charbon comme combustible, réduisant ainsi les émissions de CO2 de ces centrales de moitié environ. Le gaz naturel est par conséquent une énergie essentielle dans la transition énergétique et un avenir bas carbone. Selon différents scénarios de marché, la consommation de gaz naturel devrait continuer à augmenter jusqu'en 2035 ou 2040, avant de culminer puis de potentiellement diminuer au fur et à mesure de son éventuel remplacement par des énergies sans carbone pour atteindre l’objectif « zéro émission » (Net Zero) d’ici 2050.
Les technologies CCUS (captage, stockage, transport et valorisation du CO2) permettent d'éviter les émissions de CO2 et de nouveaux projets de GNL, tels que NFE au Qatar, comprennent de grandes installations de captage et de séquestration du carbone. Le CCUS est également utilisé pour produire de l'hydrogène et de l'ammoniac à faible teneur en carbone, ou bleus. Dans le scénario Net Zero de l'Agence Internationale de l’Energie, l'hydrogène en tant que carburant pourrait contribuer à la décarbonation globale et représenter environ 10 % du mix énergétique mondial d'ici 2050, alors qu'il est presque inexistant aujourd'hui.
Quels sont les principaux défis et opportunités pour l'entreprise ?
Commençons par les opportunités. Nous avons un marché très dynamique - bien avant la guerre en Ukraine – où le gaz naturel remplace le charbon dans de nombreuses applications, ce qui entraîne une forte demande en GNL.
La demande s’est encore intensifiée depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, car le GNL permet de varier les sources d'importations d'énergie et d’assurer une meilleure indépendance par rapport aux énergies transportées par pipelines. L'Europe a un besoin urgent de diversifier ses fournisseurs de gaz et le GNL sera importé de nouveaux pays comme les États-Unis ainsi que d'autres sources dont le développement a, depuis, été accéléré. C'est le cas du Mozambique et du Moyen-Orient où nous avons plusieurs projets en cours. Par exemple, nous livrons actuellement l'unité Coral FLNG, au large du Mozambique.
Cette forte demande entraîne un besoin accru en de nouvelles capacités de GNL. Aussi, l'un des principaux défis actuels est de réduire le temps de mise sur le marché. C'est là que Technip Energies a un avantage concurrentiel. En tant que pionnier de la modularisation des unités et ayant investi dans ce procédé de fabrication pour de grands projets au cours des dix dernières années, nous sommes en mesure de réduire les délais de commercialisation et de limiter les risques liés aux projets.
Quelles sont les conditions de marché nécessaires pour stimuler la demande d'hydrogène bleu ?
La plupart de l'hydrogène actuel est gris, produit à partir de combustibles fossiles par un procédé de reformage du méthane à la vapeur (SMR) pour lequel Technip Energies est leader mondial avec 35 % de la capacité installée. L'hydrogène bas carbone, ou hydrogène bleu, implique le captage du CO2 coproduit. Un procédé supplémentaire est requis, générant évidemment des coûts supplémentaires liés aux besoins énergétiques du traitement et au stockage du CO2. Pour encourager le développement de l'hydrogène propre, les différents marchés adoptent des approches différentes : en Europe, par le biais d'une taxe sur le carbone, et aux États-Unis, par le biais de diverses incitations à capter et à utiliser le CO2. Grâce à ces mesures, les projets de CCUS deviennent économiquement viables.
L'hydrogène bleu se développe aux États-Unis, au Moyen-Orient, au Royaume-Uni et potentiellement en Europe du Nord et en Australie. Ces pays disposent de grandes quantités de gaz bon marché et les installations nécessaires pour capter et stocker le CO2 dans des réservoirs déplétés. En Europe, en revanche, où le gaz est plus cher et les solutions de stockage du CO2 limitées, nous anticipons le développement de l'hydrogène vert, car l’essor des énergies renouvelables fait baisser le coût de l'électricité par électrolyse.
Outre le coût supplémentaire de la production d'hydrogène propre, il faut également tenir compte de l'infrastructure nécessaire. Avec une température de liquéfaction inférieure à -250°C, tout reste à développer pour la conversion, le transport et le stockage de l'hydrogène. L'ammoniac bleu et vert, NH3, pourrait devenir un vecteur de l’hydrogène, mais il est toxique en l’état et il faut développer des solutions adaptées avant de pouvoir l’utiliser directement comme carburant.
Quels sont les principaux axes de développement en termes de R&D, de technologies et de solutions ?
Nous avons quatre grands axes de développement. Le premier consiste à améliorer nos propres technologies pour décarboner au maximum le processus de production. Par exemple, la décarbonation de la production de GNL passe par l’électrification des utilités ou l’utilisation de l’hydrogène pour faire tourner les turbines des compresseurs. Nous améliorons notre technologie SMR pour l’hydrogène et nous travaillons avec des partenaires sur la technologie de captage et de transfert du CO2.
Le deuxième axe de développement consiste à étudier les marchés pour de nouvelles technologies. Nous cherchons à nous associer à des start-ups ou à des entreprises disposant de nouvelles technologies, qui ne sont pas encore matures, dans les domaines de la production de gaz propre, de la méthanisation et de l’hydrogène afin de les aider à les commercialiser.
Un troisième axe concerne le stockage du carbone, ou plutôt le transfert du CO2 capté vers l’installation de stockage. Des systèmes de chargement sont utilisés pour relier les méthaniers au terminal GNL et au réseau. Nous avons une grande expérience dans cette technologie, ainsi qu’une usine de fabrication à Sens, en France, où nous développons des technologies pour gérer le transfert du CO2 liquéfié. Nous sommes également en phase de certification de nos bras de chargement avec une technologie différente pour transférer l’hydrogène liquide.
Et le quatrième axe est celui de la modularisation. Notre solution SnapLNG™, est un concept de design modulaire compact pour des unités de liquéfaction de taille moyenne avec des composants et des technologies standardisés. Cette solution réduit le temps de mise sur le marché, en fournissant une plus grande certitude autour des coûts et du planning, avec la meilleure technologie de traitement disponible, la compression du réfrigérant et la digitalisation. Une instrumentation spécifique est intégrée dans la conception afin d’éviter les fuites de méthane et de réduire les émissions. Nous avons récemment obtenu un contrat d’ingénierie préalable à la décision finale d’investissement pour le projet Texas LNG aux États-Unis, qui intègre cette solution modulaire.
Grâce à notre capacité à gérer les écosystèmes complexes des projets, à nos références en matière d’unités de GNL et d'hydrogène bleu, au développement de nouvelles technologies et de solutions modulaires, Technip Energies est bien positionné pour répondre à l'accélération actuelle des nouvelles capacités de GNL.